En Suisse la loi n’interdit pas de consommer de la viande de chat. Selon une rumeur récurrente, certains Helvètes en seraient même friands… Mais comment réagiriez-vous si vous appreniez que le petit pâté de lapin dans lequel vous venez de croquer était en réalité du chat? Il s’agit là d’une crainte ancienne, dont on trouve des exemples depuis le Moyen Age jusqu’à l’ère d’Internet. Cette crainte est liée à la question des falsifications alimentaires.

Il y a longtemps, les rumeurs de falsifications alimentaires resurgissaient particulièrement lorsque sévissaient des pestes. On soupçonnait alors les bouchers de contaminer le peuple en vendant de la viande avariée. En 1590, une rumeur a circulé à Paris: l’épidémie serait due à la vente d’une farine faite d’os humains!

La crainte des falsifications alimentaires est directement liée à la transformation de la matière première à des fins de rentabilité, et au détriment de la santé du consommateur. Le cas du pâté de chat montre que c’est autant le  métier que l’aliment lui-même qui est incriminé. En effet, du point de vue historique, le pâtissier est celui qui hache et broie de la viande, qu’il masque sous une couche de pâte. Le pâté est donc une manière d’accommoder les restes. Le goût de la viande est modifié par les épices. De plus, les petits pâtés ont longtemps été vendus par des marchands ambulants. Il n’en fallait pas plus pour nourrir la suspicion et lancer la rumeur.

Dans les temps anciens, pour s’assurer de la salubrité d’une viande, il fallait donc toujours acheter au plus proche du vivant. De nos jours, la confiance dans son fournisseur est primordiale, et la vogue du bio est aussi une vogue du retour au producteur local, au marchand du coin, à l’artisan de proximité, qui rassure plus que l’étiquetage industriel de produits importés.

On retrouve la légende du pâté de chat sous différentes formes : civet de matou, fricassée. Mais il en existe une version plus radicale, qui cristallise avec plus de force encore la crainte envers l’aliment inconnu : celle du pâté farci de chair humaine. Ce thème a souvent été repris par le cinéma, que ce soit dans Les Bouchers verts (2003) ou dans les différentes adaptations de Sweeny Tod, ce barbier sanglant du folklore anglais qui égorge ses clients et les transforme en petits pâtés que sa bien-aimée revend au bon peuple de Londres. Dans ce cas, le pâtissier s’avère être un tueur et le client un cannibale involontaire.

En 1906, un journaliste américain, Upton Sinclair, publie un livre très polémique intitulé The Jungle, dans lequel il attaque violemment l’hygiène et les conditions de travail dans les abattoirs de Chicago. Il relate différents accidents : des ouvriers tombés dans les cuves de malaxage de la viande se seraient "perdus" dans le corned beef industriel. Ce livre, qui est à l’origine d’une longue tradition de pamphlets dénonçant les dérives de l’industrie agroalimentaire, a connu un énorme succès. Hergé s’en est inspiré pour une séquence de Tintin en Amérique.

De nos jours, les scandales liés à la fraude alimentaire peuvent prendre une ampleur internationale. Mais, comme dans le cas du pâté de chat, ils restent liés à la transformation des produits. Le scandale de la viande de cheval qui a éclaboussé l’Europe début 2013 est révélateur. Tous les ingrédients sont présents: de la composition des lasagnes suspectes (viande hachée et pâte) jusqu’à la production industrielle. La fraude à l’étiquetage, qui faisait passer du cheval pour du bœuf était rendue possible par la complexité internationale des circuits d’approvisionnement, d’acheminement, de transformation et de commercialisation de la viande, qui empêchait toute vision d’ensemble, et donc tout contrôle efficace. Les industriels de la malbouffe fabriquent chaque année des milliers de tonnes de ce qu’ils nomment pudiquement du «minerai de viande» : en réalité tous les résidus de productions plus noble, tels que le gras, les tendons, le collagène, les viscères, etc. Ces résidus sont hachés, malaxés, puis compressés et recomposés sous forme de matière première congelée. Les fabricants utilisent ensuite cette ressource pour leurs plats préparés, pour leurs steaks hachés… ou pour des pâtés.

En décembre 2013, un nouveau scandale a éclaté: des chevaux bourrés de médicaments, utilisé dans le cadre de la recherche pharmaceutique, se sont retrouvés sous forme de rumsteack ou de jarret sur nos étals. Preuve que nous ne sommes à l’abri de rien. A l’heure où la santé de nos assiettes prend de plus en plus d’importance, et face à de telles dérives, peut-être le petit pâté de chat traditionnel deviendra-t-il un jour un produit rassurant?

L’allaitement maternel fait depuis longtemps le sujet d’âpres débats. Les uns vantent ses qualités nutritives à coups d’analyses biochimiques, tandis que d’autres invoquent la liberté des femmes à disposer de leur corps. Dans les siècles passés, les élites sociales ont longtemps conservé pour habitude de déléguer le nourrissage des nouveaux nés à des "femmes mercenaires", autrement dit des nourrices. Dans ce cas, et pour éviter que le lait excédentaire des mères ne stagne ou ne provoque de dangereux engorgements, il était possible d’engager des "têteuses" pour les purger!

Pourtant, dès le 16^e siècle, différents médecins militent activement en faveur de l’allaitement maternel, réputé fournir non seulement de la nourriture au nourrisson, mais également transmettre des qualités physiques et morales. Dans cette perspective, les médecins comme les parents se méfiaient des nourrices, dont le lait pouvait altérer la personnalité de l’enfant innocent, ou alors lui transmettre des maladies telles que la variole.

Le lait de femme pouvait être pathologique, mais des qualités intrinsèques lui étaient reconnues. Il est le meilleur des laits selon les célèbres Remèdes charitables (1675) de Mme Fouquet: il entre dans la composition de nombreux remèdes contre des maux aussi différents que le marasme, la frénésie ou les troubles de la vision. Outre ces bienfaits, le lait de femme possède une charge symbolique importante. Le lait de louve ingurgité par des héros antiques tels que Romus et Remulus ne confère-t-il pas à ces derniers une force qui les accompagne dans la réalisation de leurs prouesses d’adulte? L’allaitement de Jésus par la vierge, un motif qui connut une grande vogue dès la fin du Moyen  ge, ne signale-t-il pas l’humanité de Jésus? Dans un autre registre, le nourrissage d’un adulte par une femme occupe une place particulière: l’histoire de Péra, une jeune femme qui allaite secrètement son père Cimon pour le sauver de sa condamnation à mourir de faim, illustre à la fois le dévouement filial et une forme extrême de charité. Le thème, connu aujourd’hui sous le nom de charité romaine, est repris par nombre de peintres aux 17^e et 18^e siècles.

Un interdit religieux pèse depuis longtemps sur la consommation de sang. L’Ancien Testament dit que l’âme de toute chair, c’est son sang (Lévitique 17, 10-14). En consommer est un sacrilège.

Pourtant, les croyances en la puissance régénératrice du sang sont tout aussi anciennes. Pour les Romains, le sang des gladiateurs permettait de soigner l’épilepsie. Plus près de nous, certains célèbres médecins de la Renaissance tels le Suisse Paracelse ne rechignaient pas à recourir au sang humain dans leurs ordonnances. L’Italien Marsile Ficin rapproche le sang humain du lait maternel: à ses yeux, ces deux fluides, qui font partie des productions corporelles les plus subtiles et les plus précieuses, sont de salutaires remèdes contre les effets du vieillissement. Selon certaines sources anciennes, des malades arrivaient aux exécutions publiques, tasse à la main, avides de recueillir un peu du sang du supplicié afin de s’en servir plus tard comme remède.

À cet égard, le bourreau était aussi un peu médecin et même… cuisinier. Il était en effet maître de récupérer les corps des condamnés sur le gibet et de faire commerce de certaines de leurs parties: le sang, mais aussi les os ou la graisse. Parfois, certains membres étaient desséchés, parfumés et noircis, puis vendus comme d’authentiques parties de momies égyptiennes, un ingrédient précieux et recherché qui entrait dans différentes préparations médicinales. La pratique se situe à mi-chemin entre la falsification alimentaire et la supercherie médicale.

De nos jours, si vous êtes amateurs d’ambiances médicales kitsch et morbides, des restaurants tels que l’Hospitālis de Riga, en Lettonie, ou le D.S. Music de Taipei, à Taïwan, vous permettront de vous accouder à une table de dissection et de vous faire servir votre vin dans une poche à perfusion et votre jus de fraise dans une seringue. Le tout par une serveuse déguisée en infirmière. Preuve que la fascination pour le sang  n’a rien perdu de sa force.

Et le boudin dans tout ça?